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Vous pouvez lui demander de faire n’importe quel type de voix, Martial le fera. Avant tout comédien, cet homme de 53 ans s’est lancé dans le doublage en 2000 et en a fait aujourd’hui sa spécialité. D’ailleurs, ne dites pas « doubleur » mais « comédien de doublage », c’est le terme exact.</p>
Mélange des genres
Vous l’aurez compris, Martial ne se contente pas de prêter sa voix à des personnages de jeux vidéo : c’est tout simplement impossible.</p>
En plus de son travail de comédien, il est aussi directeur artistique. Là encore, la liste des productions sur lesquelles il a travaillé est longue : « Bande de sportifs ! » (dessin animé), « Little Houdini » (dessin animé) ou encore « The Secret World » (jeu vidéo) pour ne citer que les derniers.</p>
Martial n’est pas intermittent du spectacle, il « travaille trop » pour cela. Pour chaque mission de doublage, il signe un CDD dont la durée peut varier de 30 minutes pour les sessions les plus courtes, à trois jours pour les plus longues. Il lui arrive parfois de revenir faire la voix d’un même personnage à plusieurs mois d’intervalle, lorsque le jeu a connu une mise à jour.</p>
Semaines à rallonge
Conséquence de cette double casquette : sa semaine de travail avoisine les 60 heures, dont 40 sont passées en studio à faire du doublage. Impossible en revanche de quantifier le nombre d’heures passées à faire du doublage spécifique aux jeux vidéo. Cette variable est très aléatoire, son emploi du temps n’est jamais fixe et dépend des besoins des studios : </p>
A ce rythme, il n’est pas facile de se faire une petite place dans le planning bien chargé de Martial. Après une matinée d’enregistrement pour un documentaire dans un studio parisien, il nous accorde sa pause déjeuner avant d’enchaîner sur un après-midi réservé au doublage d’une série dans un studio près de la porte de Saint-Cloud, à Paris.</p>
Travail au corps
Le plus simple pour moi, c’est de faire des voix différentes [il prend tour à tour un accent italien, britannique, la voix d’un vieillard puis celle d’un méchant, ndlr], les gens comprennent très vite. Avec les enfants, c’est magique, ils adorent ça.</p>
Plus sérieusement, je dis que c’est un métier de comédien à la différence près que je ne joue les émotions et les situations qu’avec ma voix. J’écoute la voix originale et je reproduis la même chose en français.</p>
Le doublage de jeux vidéo à cela de particulier qu’il est très rare que nous ayons les images quand nous enregistrons. Parfois, c’est tout simplement parce que les graphismes du jeu ne sont pas encore faits, d’autres fois c’est pour protéger le jeu d’éventuelles fuites. Toujours est-il qu’on n’a bien souvent que la forme d’onde pour se caler sur la voix originale. Sans l’image, il nous manque tout le contexte, on doit le deviner grâce à l’intonation initiale du comédien. Parfois, on ne sait même pas à qui on s’adresse lorsqu’on enregistre des répliques.</p>
En dehors des contraintes techniques, il n’y a pas de différences « vocales » entre le doublage dans les jeux vidéo et celui des fictions (dessins animés, films, séries).</p>
En revanche, certains dialogues sont souvent propres au jeu, notamment pour les jeux de guerre ou d’infiltration. Sur les dialogues des personnages non joueurs contrôlés par une intelligence artificielle, on peut parfois enregistrer dix fois par personnages des phrases du type « j’ai entendu un bruit » ou « je vais aller voir par là » ou « il est là » ou « grenade ». C’est un vocabulaire qui permet de mettre le joueur en situation d’être découvert ou de se sentir rassuré de ne pas avoir été pris ou vu.</p>
Lorsque j’ai commencé en 2000, le métier existait déjà depuis quelques années. Je dirais donc qu’il a une vingtaine d’années, pas beaucoup plus. Ce qu’il y a de particulier avec ce métier, c’est qu’il s’est développé très vite, aujourd’hui, tous les plus grands jeux sont doublés en plusieurs langues.</p>
Je ne pense rien faire de spécial pour le bien de l’humanité dans le sens où je ne sauve personne, je n’ai pas de responsabilité par rapport à l’humanité. Il faut rester humble, on ne va pas se mentir, ce n’est qu’un travail commercial. Cependant, je pense donner du plaisir aux gens à travers mon travail et les divertir, et je suis heureux de jouer ce rôle.</p>
On est venu me chercher, ça a été une véritable opportunité. J’ai commencé par le théâtre puis ça m’a amené vers Radio France où je faisais des pièces radiophoniques sur France Inter et France Culture.</p>
De là, on m’a proposé de faire du doublage pour des jeux vidéo et j’ai accepté. J’ai toujours été intéressé par ce qui est lié à la voix, ça permet de se créer un imaginaire. Je n’ai pas eu besoin de me battre, la chance est venue à moi. Il y avait juste une mauvaise image du jeu vidéo au début, le genre n’était pas bien considéré. Mais aujourd’hui, ça va mieux.</p>
Non, pas du tout. Comme beaucoup, je voulais devenir pompier. Je me suis tourné vers le théâtre assez tard, j’ai commencé à lire des pièces vers 13-14 ans, puis j’ai commencé ma vie professionnelle en enchaînant des petits boulots divers. Finalement, je ne suis devenu comédien professionnel qu’à l’âge de 30 ans.</p>
J’adore mon métier, je prends beaucoup de plaisir à jouer des personnages différents tous les jours. Je ne connais pas la routine, c’est agréable.</p>
Pour moi, le plus intéressant, c’est les relations humaines, c’est quelque chose de très important. J’aime qu’il y ait une dimension de partage dans mon métier, l’échange est essentiel.</p>
En revanche, je mets un bémol sur les horaires. Ce n’est pas tant le fait qu’il y en ait beaucoup, mais plutôt que j’ai l’impression de devoir toujours être disponible. Lorsqu’il m’arrive de recevoir un message le soir ou le week-end pour me proposer un contrat de doublage, je me sens obligé de répondre de peur que la proposition soit faite à quelqu’un d’autre.</p>
Lorsque j’enregistre, je suis seul dans un studio complètement insonorisé. J’ai un micro devant moi et un écran ou deux sur lesquels défilent le texte et la forme d’onde de la voix originale. Parfois, il y a l’image du jeu mais c’est rare. Parfois aussi tout est flouté et je ne vois que la bouche du personnage que je dois doubler.</p>
J’ai aussi un casque sur les oreilles qui me permet d’entendre l’ingénieur du son et le directeur artistique qui sont dans une salle juste à côté. Ils me donnent des consignes, m’orientent sur le jeu et m’encouragent.</p>
Non, je ne pense pas que ça puisse me concerner. Aujourd’hui, on le voit bien avec Siri par exemple, la synthèse vocale est quelque chose qui marche, mais ça reste saccadé et pas forcément très agréable. De toute manière, concernant ma profession, je pense que l’imperfection humaine est plus jolie que celle de la machine.</p>
J’ai souvent l’impression d’en manquer. En jeu vidéo, tout est calibré, on n’a pas le temps de tâtonner. Ça va super vite. On écoute l’anglais, on fait derrière. On écoute l’anglais, on fait derrière. Je passe presque en mode automatique dans ces moments-là et ça demande beaucoup de concentration. Si je n’arrive pas à suivre la cadence imposée par le studio, il y a le risque que je ne sois pas rappelé pour travailler. Une chose est sûre, je n’ai pas le temps de m’ennuyer.</p>
Il ne s’agit pas vraiment de gestes mais parfois le rythme des phrases est assez répétitif. Après, en ce qui concerne le contenu des dialogues, c’est forcément toujours varié.</p>
Ce travail m’oblige à être concentré quasi sans interruption et j’ai toujours un peu de stress. C’est la manière dont il me marque physiquement.</p>
Un simple « OK » en réponse au message d’une directrice de casting qui me donnait mes horaires pour la semaine prochaine. Ça marche beaucoup comme ça dans ce métier : on reçoit une « convocation » par SMS, le jour J on travaille, et on signe le contrat à la fin.</p>
Demandez à ma femme, elle vous dira que non ! (rires). Je ne décroche que quand je dors, et encore ! Il n’y a que le samedi où j’essaie vraiment de ne pas travailler pour m’occuper de mes enfants.</p>
Ce n’est pas évident car c’est un métier passion, je suis toujours très heureux car j’ai du travail. Je pars du principe que si les relations humaines sont bonnes, l’épanouissement personnel l’est lui aussi.</p>