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"Le tabac protège du Covid ? Gare à l’enfumage…
par Frédéric Lemaire, jeudi 23 avril 2020
Tout est parti d’une « révélation » de France Inter : une équipe de la Pitié Salpêtrière, inspirée par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, avance l’hypothèse que la nicotine serait un remède préventif et curatif contre le Covid. Une information aussitôt reprise par la plupart des grands médias. En oubliant souvent de faire preuve d’une prudence élémentaire… Et de préciser que Jean-Pierre Changeux a bénéficié, par le passé, de nombreux financements de l’industrie du tabac.
Depuis un certain temps déjà, la question de l’incidence du tabagisme sur la gravité des cas de Covid se pose dans le débat médiatique. En mars, une étude publiée dans une revue médicale étatsunienne concluait que fumer serait un facteur aggravant face au coronavirus. Plus récemment, plusieurs séries de données (souvent incomplètes) tendaient à indiquer que les fumeurs seraient moins touchés par le Covid.
Disons-le haut et fort : il n’est pas du ressort ni de la compétence d’Acrimed de prendre parti dans des controverses scientifiques. Et encore moins de pontifier, à la manière d’un éditocrate, sur la validité de telle ou telle étude. Mais le traitement médiatique des travaux scientifiques relève quant à lui bien du champ de la critique des médias. Surtout dans une période d’épidémie, où l’urgence et l’importance du travail de recherche font mauvais ménage avec la soif de scoops médiatiques. Et où la rigueur journalistique n’est pas toujours au rendez-vous.
C’est le cas, semble-t-il, dans un article publié par France Inter le 22 avril. Il évoque une étude menée par une équipe de la Pitié-Salpêtrière visant à montrer que la nicotine protégerait contre le Covid :
Malgré l’usage du conditionnel, l’article se fait volontiers affirmatif, évoquant « une étude qui vient d’être menée par l’hôpital, et qui conclut que les fumeurs seraient moins atteints que les autres par le virus ». On y apprend qu’une autre étude clinique est prévue visant à prouver que la nicotine aurait des vertus préventives, « une hypothèse qui semble solide ». On apprend, enfin, que ce projet est né de la rencontre entre l’équipe de la Pitié-Salpêtrière et de Jean-Pierre Changeux, « neurobiologiste de renommée mondiale ». Bref, tous les éléments semblent réunis pour concourir au sérieux de cette information. Et pourtant son traitement pose plusieurs problèmes majeurs.
Premier problème : la première étude menée à la Pitié-Salpêtrière ne permet pas de conclure à une corrélation entre la gravité de l’infection au coronavirus et le fait de fumer quotidiennement. Comme l’explique cet article publié sur le site de Franceinfo [1] :
Le faible nombre de fumeurs quotidiens parmi les patients observés ne permet cependant pas de conclure à une corrélation entre la consommation journalière de tabac et la gravité de l’infection au coronavirus. Les auteurs reconnaissent aussi que leurs travaux ne prennent pas en compte les patients placés en soins intensifs, et qu’une étude plus large est nécessaire.
Deuxième problème : la nouvelle étude repose sur une hypothèse avancée par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, présenté comme membre de l’Académie des sciences et reconnu mondialement. Mais il aurait été utile d’ajouter un détail non négligeable : le fait que le chercheur a été, par le passé, épinglé par la presse pour ses relations « troubles » avec l’industrie du tabac. Une simple recherche suffit à trouver plusieurs articles à ce sujet, comme celui du Monde (31/05/12) :
Ou encore, datée de la même année, une enquête de Mediapart (21/06/12) :
Précisons-le d’emblée : rien ne permet de prouver que les travaux actuels du spécialiste soient financés par l’industrie du tabac. En elles-mêmes, les informations révélées Le Monde et Mediapart n’invalident pas non plus a priori toutes les recherches de Jean-Pierre Changeux, ni les hypothèses de ses travaux en cours. Elles constituent néanmoins des éléments de contexte importants. Et témoignent également des moyens considérables déployés par l’industrie du tabac en termes de relations publiques. Cet aspect devrait appeler à la plus grande transparence, et à la plus grande prudence, de la part des médias lorsque des études portant sur la nicotine tendent à souligner des effets positifs sur la santé.
Troisième problème : si l’article précise trivialement qu’il ne faut pas « se ruer sur les cigarettes » et que le tabac « reste un fléau », l’article omet de replacer cette étude dans un champ plus vaste ; et de mentionner par exemple d’autres études selon lesquelles le tabagisme serait un facteur aggravant à partir de l’entrée à l’hôpital, comme le note à juste titre un article de Sciences et Avenir.
Ces trois éléments de contexte sont loin d’être anecdotiques ; ne pas les mentionner constitue une entorse à la rigueur journalistique… Qui caractérise aussi la plupart des articles qui se sont empressés de reprendre l’information. Avec à la clé, une titraille plus ou moins spectaculaire :
L’Obs, 22/04 :
Le Monde, 22/04 :
Le Figaro, 22/04 :
Le Point, 22/04 :
CNEWS, 23/04 :
BFM-TV, 23/04 :
LCI, 22/04 :
Il existe heureusement des exceptions, comme les deux articles déjà cités dans ce texte, publiés sur le site de France Info et sur le site de Sciences et Avenir. Ou encore une chronique de Serge Raffy appelant à la prudence ainsi qu’une interview du physicien Etienne Klein appelant à ne pas confondre causalité et corrélation (un problème récurrent dans la couverture médiatique de la recherche scientifique).
Mais pour le reste, l’écrasante majorité de la production médiatique ne prend pas ou peu de précautions pour diffuser la nouvelle. Circulation circulaire de l’information oblige... au grand détriment de la rigueur journalistique.
Frédéric Lemaire, grâce au signalement de Cédric Normand
Post-Scriptum : à noter tout de même, cette précision bienvenue donnée par Baptiste Beaulieu, chroniqueur dans l’émission « Grand bien vous fasse » le matin du 27 avril sur France Inter :
L’étude dont on a beaucoup, beaucoup entendu parler en France et un peu partout ailleurs, elle est basée sur une hypothèse qui est émise par un neurobiologiste. Alors, je ne donne pas son nom, vous pourrez le trouver facilement sur Internet.
Une chose qui n’a pas été dite dans les médias et qui me paraît importante, c’est que, quand on est soignant, soignante ou chercheur, et qu’on s’exprime dans les médias sur quelque sujet que ce soit, nous nous devons d’exprimer publiquement la présence ou l’absence de liens d’intérêt avec le sujet qui est débattu. Eh bien, en l’occurrence, ce neurobiologiste, il a bénéficié de financements par l’industrie du tabac durant de longues années. Il a été épinglé par plusieurs médias sérieux, comme Le Monde ou Mediapart, sur le sujet.
Alors, évidemment, je ne dis pas qu’il y a ici un conflit d’intérêt, je dis simplement que c’est un devoir, quand on est chercheur ou chercheuse ou médecin, de révéler au public la présence d’un conflit d’intérêt quand on parle d’un sujet publiquement. Alors, c’est une garantie, mais c’est aussi notre crédibilité qui est en jeu.
Évidemment, rappelons qu’on en apprend tous les jours sur ce virus, qu’il y a d’autres études qui tendent à montrer que le tabac aurait une action délétère […]
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"La déclaration d'intérêts de Jean-Paul Delevoye est tombée ce samedi 7 décembre sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nommé haut-commissaire aux Retraites et devenu membre du gouvernement le 3 septembre, le chef d'orchestre de la réforme des retraites a dû se soumettre à ce passage obligé, comme tous les membres de l'exécutif.
Qu'y découvre-t-on ? En plus de cumuler un salaire de ministre délégué de 10 135 euros brut et ses pensions de retraite liées à ses anciennes fonctions (rien d'illégal), Jean-Paul Delevoye peut également compter sur d'autres revenus, selon sa déclaration. Il occupe la fonction de président du think-tank Parallaxe de « HEP Education au sein du groupe de formation IGS » depuis 2017, avec à la clé une coquette rémunération. Selon sa déclaration, en 2018 et en 2019, il a perçu à ce titre 5368,38 euros mensuels, soit un montant annuel de 64 420 euros net.
Concernant ses activités passées, entre 2016 et 2017, il indique avoir eu des fonctions rémunérées comme conseiller du délégué général du groupe de formation IGS : 25 000 euros net en 2016 et 40 000 euros net en 2017. Au point 6 de sa déclaration concernant « les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts », on découvre aussi qu'il est président d'une association des orchestres nationaux, appelée la Chartreuse de Neuville.
Un oubli, l'institut de formation des assureurs
Le hic, c'est qu'il manque une indication de taille à son arc professionnel. Et sans doute l'une des plus gênantes au vu de ses fonctions de haut-commissaire chargé de la réforme des retraites (depuis 2017). Jean-Paul Delevoye est en effet étroitement lié au monde de l'assurance, depuis 2016, date à laquelle il est devenu l'un des administrateurs de l'Ifpass, l'Institut de formation de la profession de l'assurance.
Cet institut est présidé par Roger Belot, président d'honneur de la MAIF, et compte des administrateurs issus du sérail de l'assurance et des mutuelles. « C'est l'organisme de référence de la branche, les ressources de l'institut s'élèvent à environ 16 millions d'euros par an. Il emploie 90 permanents à temps plein environ, dont 400 à 500 vacataires, et forme près de 9000 apprenants par an », selon une source interne.
« L'Ifpass est étroitement lié à la Fédération française de l'assurance (FFA). Tous les assureurs y forment leurs salariés actuels et futurs », confirme un ancien dirigeant, pour qui « les liens avec Jean-Paul Delevoye sont précieux, notamment parce que l'ensemble du secteur est très intéressé par la réforme ». Fin octobre, le directeur général d'AG2R La Mondiale, André Renaudin, ne le cachait d'ailleurs pas, déclarant au Journal du Dimanche : « La réforme des retraites ouvre des perspectives. »
« Pour moi, ce n'était pas important »
En clair, le mandat de Jean-Paul Delevoye au sein de l'Ifpass ne semble-t-il pas « susceptible de faire naître un conflit d'intérêts » ? Alors, pourquoi ne figure-t-il pas au point 6 de sa déclaration ? « C'est une omission par oubli », a répondu, ce dimanche par téléphone, au Parisien-Aujourd'hui en France le haut-commissaire. Il affirme « n'y [avoir] pas pensé une seconde », avant d'ajouter : « Je reconnais que ce n'est pas responsable.» « Autant j'accorde de l'importance à la Chartreuse, autant là… » lance-t-il sur un ton elliptique, comme pour justifier cette surprenante négligence."