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International
En Colombie, les migrantes vénézuéliennes contraintes de se prostituer
Elles ont fui la misère et le chômage dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais nombre de migrantes vénézueliennes, à leur arrivée en Colombie, se retrouvent à devoir se prostituer pour survivre.
Par Marie Delcas(Bogota, correspondante)
Publié hier à 18h00
Temps de Lecture 7 min.
 Une jeune femme, réfugiée en Colombie suite à des affrontements au Venezuela, joue avec des enfants, à Arauquita, le 31 mars 2021. NADÈGE MAZARS POUR "LE MONDE"
Aux abords de la place Mercedes-Abrego, dans le centre de la ville frontière de Cucuta, quatre Vénézuéliennes exhibent leurs jambes bronzées et leurs visages trop maquillés. Parmi elles, Riana. Interrogée sur les raisons qui l’ont amenée à se prostituer, elle répond par une question : « Et toi, tu choisis quoi entre faire le tapin ou voir tes gamins crever la dalle ? » Le ton est plus didactique qu’agressif.
Riana est arrivée en Colombie avec ses quatre enfants, âgés de 3 à 12 ans. « Nous avons dormi dans la rue pendant cinq jours, raconte la jeune femme de 26 ans. Je me suis promis que j’allais les tirer de là. Et je l’ai fait. Je ne vends pas mon corps, je travaille avec lui. » Comme plus de 5 millions de ses compatriotes, Riana a fui la crise sans précédent qui dévaste son pays depuis 2015. Comme beaucoup de ses congénères migrantes, elle a fait le choix du « sexe pour survivre ».
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« Du sexe pour survivre » : psychologue dans une association locale qui travaille avec la population vulnérable, Orfa Mora récuse cette expression qui, « en laissant entendre que les femmes ont librement choisi de se prostituer pour survivre, masque la réalité de la traite d’êtres humains et les violences que ces femmes subissent ».
Sous l’emprise d’un proxénète ou d’un réseau
Alejandra Vera a 33 ans et a monté l’association Femme, dénonce et bouge-toi. Elle est d’accord avec Orfa Mora : « Même les femmes qui disent avoir opté pour la prostitution librement finissent sous l’emprise d’un proxénète ou d’un réseau. Mais elles refusent de se voir comme des victimes. » Pire, à ses yeux, nombre de migrantes travailleuses sexuelles expriment de la satisfaction – « je vis mieux depuis que je me prostitue », disent certaines – et même expriment de la reconnaissance à l’homme ou à la femme qui les a tirées du désespoir. Partisane de la prohibition absolue de la prostitution, Alejandra Veja voudrait voir en prison tous les proxénètes et tous les clients.
« Les Vénézuéliennes ont fait chuter les prix de la passe. Elles se vendent pour trois sous », commente, égrillard, un chauffeur de taxi, avant de s’en prendre « à tous ces migrants qui piquent le travail des Colombiens ». Le tarif pour vingt minutes de sexe commence à 5 000 pesos, un peu plus d’un euro. « Le tarif n’a rien à voir avec la nationalité, s’indigne Emily, une prostituée colombienne. Il n’y a pas de sexe bon marché, il y a des hommes qui profitent du malheur des femmes. »
« La fermeture de la frontière a aggravé la vulnérabilité des migrantes et des migrants », reconnaît Pilar Sanabria
Le danger pour les migrantes commence dès le passage de la frontière, que la majorité passe à hauteur de la ville de Cucuta. Depuis le début de la pandémie, les ponts et postes-frontières officiels sont fermés. Des dizaines de sentiers permettent de passer d’un pays à l’autre. Ils sont contrôlés par des groupes armés. « La fermeture de la frontière a aggravé la vulnérabilité des migrantes et des migrants », reconnaît Pilar Sanabria, fonctionnaire à la préfecture départementale. En 2020, les organisations locales ont documenté quinze cas de femmes violées par les passeurs, parfois devant leurs enfants.
« Depuis le début de l’année, le nombre de cas a été multiplié par trois », affirme Orfa Mora ; et personne ne doute que ce chiffre est très largement sous-estimé. « Les femmes qui passent la frontière clandestinement ne dénoncent pas les violences dont elles sont victimes. Parce qu’elles sont en situation illégale, elles se sentent responsables de ce qui leur est arrivé, explique une fonctionnaire onusienne. Des deux côtés de la frontière, l’action des militaires et des policiers, qui rançonnent à l’occasion eux aussi les migrants et violentent femmes et les adolescentes, ne pousse pas à la confiance dans les institutions. »
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D’un pays ruiné à un pays pauvre
Les autorités estiment que quatre cents Vénézueliens passent clandestinement la frontière tous les jours depuis le début de l’année, soit 12 000 par mois. Ils fuient un pays ruiné pour venir dans un pays pauvre et inégalitaire, aux institutions fragiles. La ville de Cucuta enregistre en effet un taux record de chômage (20,1 %) et 71 % de la population active travaille dans le secteur informel, sans la moindre protection sociale.
« Il m’a demandé de lui envoyer des photos de moi, nue. J’ai cru que ce serait facile », raconte Tais
Tais, elle, a traversé la frontière en connaissance de cause, avec une promesse de travail dans un night-club. « Une copine a parlé de moi à son boss. Il m’a demandé de lui envoyer des photos de moi, nue. J’ai cru que ce serait facile, raconte Tais. Mais je vais te dire : le premier soir, tu pleures. Le deuxième, le troisième, le quatrième, tu pleures aussi. Et le dixième, tu pleures encore. » Le bar a fermé, pour cause de pandémie. Tais s’est retrouvée dans la rue. Elle envoie « religieusement » la moitié de ce qu’elle gagne à sa mère.
La pandémie a en effet précarisé la situation des Vénézueliennes installées à Cucuta et élargi le marché du sexe. Les « maisons webcams » pullulent désormais dans les avenues ombragées de la ville. « Les images filmées ici sont consommées aux Etats-Unis, en Asie ou en Europe », explique Fernando Garlin, doctorant en ethnologie. Selon les témoignages recueillis, il estime qu’il pourrait y avoir aujourd’hui à Cucuta entre huit cents et mille de ces « maisons », dans une ville qui compte 800 000 habitants.
Un phénomène en plein essor
Les autorités reconnaissent que le phénomène est en plein essor, mais elles ne disposent ni de chiffres ni de diagnostic précis. « Nous allons y procéder cette année, grâce aux fonds de la coopération américaine », confirme Fernando Garlin. Toutes les organisations locales dénoncent l’absence d’une politique publique « genrée », pour protéger les femmes – cisgenre et trans – et faire face au développement de la prostitution sous toutes ses formes.
Sur une colline pelée des environs de Cucuta, le quartier Alfonso-Gomez accueille de manière importante migrants vénézuéliens et déplacés colombiens. Edinira, qui était vendeuse à Caracas, y vit dans un taudis fait de tôle et de plastique, avec ses quatre filles. L’aînée, qui venait de fêter ses 15 ans, a fugué il y a deux mois avec une amie et un voisin de son âge. Edinira n’a pas prévenu la police. « A quoi bon ? », soupire-t-elle. Sa fille est venue en coup de vent la semaine dernière avec des habits neufs et un sac plein de provisions. Edinira a accepté les provisions sans rien demander. « A quoi bon ? »
« Les images d’adolescentes entre 11 et 16 ans sont les plus demandées, s’indigne Alejandra Vera. Masturbation, fellation, sodomie, partouze… le client choisit. « Les filles et les femmes qui travaillent dans les “maisons webcams” se sentent plus en sûreté que dans la rue. La caméra leur évite le contact physique avec les clients et les protège de la violence, explique Orfa Mora. Mais j’ai vu arriver des adolescentes à l’anus détruit. »
Les filles se chargent aussi de recruter des garçons. « Dans les “maisons webcams” que j’ai pu visiter, il y avait autant de filles que de garçons, et autant de femmes que d’hommes », affirme Fernando. La prostitution n’est pas réservée qu’aux femmes. « Mais les hommes et les adolescents sont encore plus réticents que les femmes à dénoncer les abus et les violences dont ils peuvent être victimes », précise Mme Vera. Fernando a constaté que « les hommes des “maisons webcams” se définissent comme des mannequins ».
« Plus de la moitié des foyers à la charge des femmes »
Oriana Duran, 44 ans, est une leader communautaire du quartier Alfonso-Gomez. Elle se démène pour améliorer la situation de ses compatriotes. « Ici, plus de la moitié des foyers sont à la charge de femmes seules, explique-t-elle. La migration est une épreuve pour tout le monde. Les hommes ne tiennent pas le coup et partent, et l’immense majorité des femmes refuse, évidemment, de se prostituer. Je ne veux juger personne : une femme est capable de tout quand ses enfants ont faim. Mais je constate que ce ne sont pas toujours les plus démunies qui franchissent le pas. » Riches ou pauvres, cadres ou chômeuses, toutes les migrantes vénézuéliennes se plaignent de l’étiquette de « pique-maris » et de « putains » qui leur colle à la peau.
« Dans les régions rurales isolées, les Vénezueliennes sont complètement livrées à elles-mêmes », explique Iren Rojas
La ville de Cucuta n’a pas l’exclusivité de la prostitution, ni de ses drames. « Ici, l’ONU, la communauté internationale et des dizaines d’organisations locales tentent d’apporter de l’aide aux femmes migrantes, explique Irene Rojas, chercheuse universitaire. Mais dans les régions rurales isolées, notamment celle du Catatumbo, qui produit de la cocaïne, les Vénezueliennes sont complètement livrées à elles-mêmes. Elles sont recrutées – comme les hommes – pour aller travailler dans les champs de coca dans des conditions d’esclavage. Les plus jolies deviennent les maîtresses des guérilleros et des narcotrafiquants qui sévissent dans la région. »
Dans la capitale, Bogota, le quartier de tolérance de Santafé est « passé sous contrôle vénézuélien », raconte Emily. « J’ai été travailleuse sexuelle au Chili. Nous étions nombreuses, les Colombiennes, dans les bordels, poursuit la jeune femme. Partout, dans tous les pays, les migrantes sont contraintes de pratiquer le sexe pour survivre. Mon pays ne devrait pas l’oublier. »
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"Tout le monde savait", le récit terrifiant de Valérie Bacot, battue, violée et prostituée par son mari
Par Stéphanie O'Brien
• Le 26 juin 2021

Violée, battue et prostituée par son mari, Valérie Bacot encourt la perpétuité pour le meurtre de son bourreau.
Fayard / photo presse
Jugée pour le meurtre de son mari qui l'a battue, violée et prostituée, Valérie Bacot a été condamnée, vendredi 25 juin, à quatre ans de prison, dont trois avec sursis. Une peine symbolique. Dans Tout le monde savait, elle raconte ses 24 années de vie en enfer.
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Courageux, sincère et terrifiant à la fois, Tout le monde savait est le récit d'une vie en enfer. Celle de Valérie Bacot, violée, battue, prostituée par celui qui fut son beau-père avant de devenir son mari. Le 13 mars 2016, elle met fin à 24 années de calvaire en lui tirant une balle dans la nuque. Un crime pour lequel elle encourait la perpétuité. À l'issue de cinq jours de procès, le tribunal de Saône-et-Loire l'a condamnée, vendredi 25 juin, à 4 ans de prison dont 3 avec sursis. L'accusée qui a déjà effectué une année en détention provisoire, est donc ressortie libre du tribunal.
Auparavant en liberté sous contrôle judiciaire, elle était représentée par Me Janine Bonaggiunta et Me Nathalie Tomasini, les avocates qui avaient défendu Jacqueline Sauvage, autre épouse victime de violences conjugales, graciée en 2016 pour le meurtre de son mari. Une pétition lancée il y a quelques mois par le comité de soutien «Liberté pour Valérie Bacot» a recueilli près de 660.000 signatures. Coécrit avec la journaliste Clémence de Blasi, avec laquelle elle s'est entretenue durant de longues heures, Tout le monde savait retrace l'histoire de Valérie Bacot. En voici des extraits.
À lire aussi » Procès Bacot : "Dans cette histoire, il n'y a rien qui va, du début à la fin"
"Maman ne frappe que moi"
Deuxième enfant d'une fratrie de trois, Valérie est l'unique fille de Roger Bacot et Joëlle Aubague. Née le 16 novembre1980, elle grandit à La Clayette, village de 1700 âmes situé en Saône-et-Loire. Sa mère gère la mercerie-chapellerie et son père est chauffeur routier. Entre un père constamment absent et une mère agressive, dépendante à l'alcool et aux médicaments, Valérie connaît une enfance malheureuse. «Maman n’est jamais tendre», écrit-elle. «Elle ne frappe que moi. Mes deux frères, Christophe et Jérôme, sont toujours épargnés.» De son père Roger, Valérie dit qu'«il passe son temps à dormir». «Je crois que nous ne l’avons jamais vraiment intéressé», pense-t-elle. Ses parents se séparent et se remarient à deux reprises. En 1992, après le second divorce, Roger Bacot déménage à Chauffailles, avec son fils aîné, Christophe.
Nous sommes une famille normale, maman, Daniel, Jérôme et moi
Divorcée, Joëlle Aubague fait la connaissance de Daniel Polette. L'homme emménage chez elle et prend rapidement le rôle de chef de famille. Autoritaire et imprévisible, ce nouveau beau-père bricole, jardine et veille aux devoirs des enfants. Les enfants Valérie et Jérôme ont alors l'impression d'avoir enfin une vraie famille comme les autres. «Il est plus doux avec moi, plus calme qu’avec Jérôme. Il me fait des câlins, des bisous, me demande sans cesse de m’asseoir sur ses genoux. J’obéis, sans me poser de questions. C’est ce que font tous les parents avec leurs enfants, non ? Nous sommes une famille normale, maman, Daniel, Jérôme et moi», pense alors la fillette.
Un premier viol à 12 ans
En l'absence de leur mère qui rentre tard du travail, les enfants se retrouvent sous la surveillance de leur beau-père. Une surveillance qui prend une tournure malsaine, le jour où Daniel exige que Valérie laisse la porte de la salle de bains ouverte, lorsqu'elle se lave. «Quand j’ai fini, il insiste pour me passer de la crème sur les bras. Il faut en étaler partout. Daniel tient à s’en charger, il trouve qu’il fera ça mieux que moi.» Un rituel auquel Valérie se plie malgré elle. Un samedi matin, l'adolescente de 12 ans surprend le «regard sombre» de Daniel dans le miroir. «Il s’approche, soulève la serviette enroulée sur mes hanches. Puis, en respirant fort, enfonce ses doigts dans mon corps.» Un premier viol qui sera suivi d'abus sexuels quasi quotidiens. «Les mois passent. C’est presque tous les soirs désormais. À chaque retour de l’école. Le goûter qu’il me prépare et que j’avale le ventre noué, sa voix qui m’ordonne de monter», écrit-elle.
En vidéo, début du procès de Valérie Bacot
Début du procès de Valérie Bacot, jugée pour avoir tué son mari proxénète
Trois ans de prison puis un retour au foyer
Vendredi 23 janvier 1995, la collégienne est conduite par sa mère à la gendarmerie pour y être entendue. Comme on le découvre à la fin du livre, cette soudaine convocation fait suite à une dénonciation d'une des sœurs de Daniel. Mais craignant la colère de sa mère, la collégienne préfère dire que «tout se passe très bien» à la maison. Conduite ensuite chez le gynécologue qui doit établir un rapport, Valérie entend les mots «pénétration, viols et lésions, rapports sexuels, hymen. Certains de ces mots, je les ai déjà entendus à l’école, en cours de biologie.» Elle réalise alors ce que son beau-père lui fait subir et comprend qu'elle doit tout raconter aux gendarmes. Le lendemain, Daniel Polette est arrêté. «Toute la soirée, maman sanglote parce que Daniel n’est plus là, en descendant une bouteille d’eau-de-vie de poire. C’est ma faute si elle pleure. Il aurait mieux valu que je ne parle pas. Encore une fois, j’ai tout gâché.» En 1996, la condamnation tombe : Daniel écope de 4 ans de prison pour viol sur mineure de moins de 15 ans.
J’en ai rien à foutre, du moment qu’elle tombe pas enceinte
En octobre 1997, après trois ans d'incarcération, il regagne le foyer conjugal. «Je suis presque contente de le voir. Pas franchement rassurée, mais du moins soulagée : maintenant qu’il est là, ma mère va enfin se reprendre. Nous laisser en paix, Jérôme et moi. Arrêter de boire, peut-être», pense-t-elle naïvement. La vie reprend son cours. Les viols aussi. «Il est encore plus brutal, plus violent, plus menaçant qu’avant la prison.» Un jour, alors qu'ils sont dans le garage, Daniel l'attrape par les cheveux et lui colle le visage contre son pénis pour une fellation. La scène violente réveille chez Valérie un vieux souvenir enfoui. En flash-back, elle se revoit enfant avec son frère aîné, Christophe, qui lui fourre son sexe dans la bouche. Ne sachant à qui en parler, c'est à Daniel qu'elle raconte ce souvenir. «Ils étaient enfants, ce n’est pas très grave. Tant que ça reste dans la famille, on ne va pas en faire tout un cinéma», lâche sa mère lorsqu'elle apprend les faits. Après la condamnation de son compagnon, Joëlle ne cherche plus à protéger sa fille et déclare : «J’en ai rien à foutre, du moment qu’elle tombe pas enceinte.»
À lire aussi : Procès de Valérie Bacot pour l'assassinat de son mari : le rôle trouble de la mère de l'accusée »
Le beau-père violeur devient conjoint tyran
Mais à 17 ans, Valérie est enceinte. Sa mère, qui craint les ragots, lui demande de quitter la maison. Daniel Polette décide alors que Valérie et lui s'installeront à Baudemont, à 2 km de La Clayette. Le beau-père violeur devient son conjoint. Le jour du déménagement, sa mère est particulièrement joviale, «détendue et légère comme si tous ses soucis s’envolaient d’un coup». Mineure et enceinte, Valérie demande l'émancipation et se voit convoquée au tribunal de Mâcon, pour évaluer sa situation. Devant le juge pour enfants, Joëlle improvise une explication et déclare que sa fille l'a menacée d'un couteau. Un mensonge qui fait bondir Valérie. Habituée à se taire, elle se met à hurler dans le bureau du juge qui les chasse tous les trois. «Ce jour-là, je vois ma mère pour la dernière fois.»
J’ai l’habitude de mon malheur
Dylan naît en 1999. Après lui, arriveront Kevin en 2000, Karline en 2001, puis Erwan en 2006. Mais Daniel ne supporte pas que l'attention de Valérie se porte sur les enfants. Souvent alcoolisé, il devient de plus en plus irascible et violent. Les coups, les cris, les insultes rythment la vie de la jeune mère, qui s'épuise à satisfaire les caprices du tyran. Ce dernier lui est interdit de faire des courses seule, de travailler ou de parler à des inconnus. La jeune femme vit recluse et dans la peur. «Je me débrouille, ne pleure pas. Je ne ressens presque plus d’émotions, presque plus rien. J’ai l’habitude de mon malheur.» Coups de poing dans la figure, coup de marteau sur la tête, strangulation, menaces armées, la mère de famille craint pour sa vie et celle de ses enfants. «J’ai peur pour nos vies, qu’il tient entre ses mains. Il me dit parfois qu’il regrette de ne pas avoir tué son ex-femme – qu’avec nous il n’hésitera pas.»
Il peut faire tout ce qu’il veut de moi
Désormais père de 4 enfants, avec une compagne ne travaillant pas, Daniel Polette accumule les dettes. Mais ce n'est pas pour l'argent qu'il va forcer Valérie à se prostituer. «Il a surtout besoin de se rincer l’œil, et éprouve du plaisir à m’humilier sans cesse davantage.» Sous ses ordres, Valérie devient Adeline, escort-girl. Daniel Polette organise les rencontres dans un bois et transforme la voiture familiale en chambre de passes. Muni d'une oreillette et d'un micro, il écoute et télécommande les moindres gestes de sa femme pendant l'acte. «Je suis un robot, une chose, je ne réfléchis plus. Daniel me possède entièrement, je suis un objet qui lui appartient, il peut faire tout ce qu’il veut de moi.»
"Personne n’est prêt à écouter"
Les enfants grandissant, la violence de leur père commence à s'abattre sur eux. «Il encourage Karline à m’insulter, jette les garçons brutalement contre les murs, leur fait traverser la cour en les traînant par les cheveux. Je fais tout mon possible pour me dresser toujours entre lui et eux ; les coups, les vrais, c’est moi qui dois les recevoir.» Valérie comprend qu'elle doit chercher de l'aide si elle veut que sa famille sorte vivante de cet enfer. Maintenue prisonnière chez elle, Valérie Bacot demande alors à ses enfants, devenus adolescents, d'aller porter plainte. Deux tentatives se soldent par des refus, les gendarmes estimant que c'est à la mère de famille de déposer plainte. «S'il apprend que j'ai porté plainte contre lui, il va nous tuer», pense Valérie Bacot. Alors elle se rétracte et «abandonne le combat. De toute façon, personne n’est prêt à écouter. Pour nous, il n’y a pas d’issue – tout est foutu».
"Tu vas vendre ton cul à plein temps
Daniel Polette, alors âgé de 61 ans, annonce un jour qu'il veut arrêter de travailler et que ce sera à Valérie de nourrir la famille. «Ton activité ramène de plus en plus de clients. À partir de maintenant, tu vas vendre ton cul à plein temps», lâche-t-il. La mère de famille est anéantie et terrifiée. Le même jour, Karline, sa fille âgée de 14 ans, lui rapporte l'étrange question que lui a posé son père. «Il m'a demandé comment j'étais sexuellement.» Une révélation qui confirme ce que Valérie redoutait le plus, et qui va précipiter la suite des événements. Le lendemain, Daniel lui apprend que Manu, un client particulièrement sadique dont elle a peur, a pris rendez-vous. «Quand c’est lui, Daniel se méfie : entre les sièges du véhicule, il cache son pistolet, ou un gros bout de câble électrique qu’il a récupéré sur un chantier, et dont il se sert comme d’une matraque.»
La passe se déroule avec violence et sous les menaces et les insultes de Daniel qui ordonne à Valérie de se laisser faire. «J’ai le corps déchiré par le client, suis terrifiée par Daniel. Les mots qu’il a dits à Karline la veille tourbillonnent dans ma tête – Après moi, est-ce que ce sera elle ? Tout se mélange, sature, mon cerveau implose sous la pression comme une cocotte-minute sur le feu.» Assise à l'arrière, alors que Daniel Polette s'apprête à démarrer, Valérie Bacot prend l'arme cachée entre les sièges de la voiture, et lui tire une balle dans la nuque.
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"Tout le monde savait", de Valérie Bacot et Clémence de Blasi, aux éditions Fayard.
"Je m'en remets à la justice de mon pays"
«Depuis cette nuit-là, celle du 13 mars 2016, le sommeil ne m'a plus jamais trouvée.» Un an plus tard, le corps de Daniel Polette est découvert, dans le bois derrière le château de La Clayette, où Valérie aidée de deux de ses garçons et du petit ami de Karline, l'avait enterré. Victime d'un bourreau, Valérie Bacot est devenue étant données les circonstances, une criminelle. Elle est arrêtée en octobre 2017. «Cela n'aurait pas dû arriver ; je voulais seulement me protéger. Protéger ma vie et celle de mes enfants (...). Il est tout à fait normal que je sois jugée pour ce que j'ai fait. Je m'en remets à la justice de mon pays. Au cours de mon procès, j’espère seulement être comprise, considérée. Traitée, enfin, comme un être humain.»
La prostitution n'est pas un choix volontaire de la personne.